Association Villiéraine Historique
et Culturelle Guillaume Budé
Musée : 31, rue Louis Lenoir 94350 Villiers-sur-Marne I Horaires : mercredi, samedi et dimanche après-midi de 14H00 à 17H00
Mise à jour novembre 2025 l 06 14 48 09 99 l musee-emile-jean@gmail.com
La nouvelle.
Plusieurs de mes connaissances m’incitaient à me présenter, mais, prudent et/ou lucide, je ne voyais pas ce que je pourrais offrir à un lectorat potentiel. J’oubliais la chose pendant un certain temps, puis ce concours revint sur le devant de la scène et par curiosité, je me décidais à regarder cela d’un peu plus près. Qu’est-ce qu’une nouvelle ? Bon, je savais que c’était une forme d’écriture, moins longue qu’un roman et qui, comme lui, faisait interagir des personnages dans un lieu ou des lieux et un temps variables. Ces interactions constituant l’intrigue, l’histoire... Donc, un « nouvelliste » pourrait-il être un romancier fainéant ou qui n’a pas le temps? Ou alors quelqu’un doué d’une capacité de synthèse, maîtrisant l’art du rabotage des longueurs et celui de l’orfèvrerie des mots ? De plus, il fallait un style qui vous distingue des autres auteurs et captive les lecteurs et les lectrices. A ce propos, écriture inclusive ou non ? Qu’est-ce qui pouvait me motiver ? J’en étais à ma toute première tentative et je me sentais plutôt le profil d’un Rastignac de sous-préfecture des lettres. J’en avais déjà lu des nouvelles et je sentais qu’il importait avant toute chose de trouver une histoire (dramatique, est-ce mieux ?), de la dérouler avec ses épisodes, ses temps narratifs, ses rebondissements et travailler une chute qui donnerait son âme au récit, avec une conclusion bien sentie.
Je décidais, après moult réflexions, de me lancer dans la rédaction d’une nouvelle et plongeais alors dans les étagères de mes souvenirs, les creusant et les développant, espérant forcer ainsi mon imagination. J’échafaudais des plans, essayait de donner une cohérence à ces agrégats de mémoire. Cela dura des jours et des nuits, et dire que cela me taraudait, est un simple euphémisme. Puis, un jour, sans que je m’y attende, elle s’imposa à moi, cette histoire. Ce fut alors un bouillonnement d’idées, de fulgurances de l’esprit et il me fallut apprendre à structurer mes pensées, les organiser mentalement, mais aussi spatialement. Des scènes se précisèrent, des personnages apparurent et rapidement le chaos devint genèse. Je devais urgemment sérier, classer, mémoriser, visualiser. Ai-je inventé à cette occasion une nouvelle technique d’organisation de l’écriture ? En tout cas, la mienne me fit rédiger des fiches sur les personnages, soulignant ce qui les liait, les divisait, les lieux qu’ils foulaient et j’attribuais à chaque scène une pièce ou une partie de notre maison où je collais ou punaisais mes fiches. Ainsi, l’organigramme orna l’entrée, les scènes souterraines ou celles du métro se retrouvèrent sur les murs du sous-sol, les fiches sur la prison se retrouvèrent sur ceux de la cave à vins, les scènes de montagne trouvèrent leur place sur le mur du couloir de l’escalier (quart tournant gauche) menant à l’étage, la cuisine devint restaurant et tout à l’avenant. La maison était tapissée de fiches : le roman l’habitait et elle abritait le roman. Osmose parfaite… De mon côté, je vibrionnais, allant d’une pièce à l’autre, m’arrêtant, écrivant, me penchant et repartant, je devais donner une singulière image de la création littéraire. Je psalmodiais devant mes murs de cogitations…J’étais euphorique au point d’ignorer le monde qui m’entourait. Je l’appris plus tard, mais ma femme avait discrètement consulté des proches, car elle craignait que je ne fus atteint d’une altération grave du discernement. Ils la rassurèrent en évoquant les effets collatéraux de la frénésie créatrice, de son caractère relativement éphémère et calmèrent ses inquiétudes avec des : « tu verras, ça se passera bien… ».
De petit nid douillet, la maison se transforma en redoutable test d’oursin et les visites des autres s’espacèrent : on ne dérange pas le créateur dans sa concentration...Mais, le temps passait, il ne restait plus beaucoup de place sur les murs de la maison et il fallait impérativement passer à la rédaction. Il devint clair que j’avais la matière pour écrire un roman, car on était passé de nouvelle à roman. (En même temps « roman » en anglais se dit « novel », j’y vis un signe…) Lentement, une à une, je « détapissais » les pièces pour tisser la trame de mon roman. Je me disais, si ça marche comment devrais-je me définir désormais, si on me demandait de définir mon occupation du moment ? Sérieux : je suis romancier…, facétieux : je fais dans la phrase…, primesautier : je gratte… Eh bien, c’est ce que je fis dans toutes les semaines qui suivirent. Tel un artisan, je grattais, je ciselais mes phrases, retouchant noms, verbes, adjectifs et compléments, surveillant le souffle de leur respiration par une ponctuation digne d’un métronome rythmant une partition, en n’en omettant surtout pas les silences.. L’ouvrage avançait et je savourais parfois ce sentiment de délectation que confère la puissance narrative. Je songeais à cet inestimable moment de l’Histoire de la pensée française que fut la création de l’Académie Française en 1635, qui me permettait aujourd’hui grâce à la structuration de la langue de -modestement- coucher mes pensées, de lâcher la bride à mon imagination et de rejoindre à mon tour la cohorte des écrivains qui m’ont précédé et ceux qu’à présent j’allais côtoyer, je n’en doutais pas. Allez, soyons fous et rêvons ! Rêvons d’un prix et du plus célèbre d’entre eux ! En plaisantant, je me disais que je courais après le prix « qu’on court », celui qui, comme l’horizon, s’éloigne au fur et à mesure que l’on tente de s’en approcher. L’illusion des prix, car il y en a pléthore en France (plus de 2100 recensés) et il y a même une saison des prix, comme au supermarché. La rédaction se poursuivait, ponctuée de doutes, d’interrogations, de ratures, d’approximations et de découragements…Ce fut comme un grand vide, lorsqu‘enfin j’écrivis le mot « FIN ». Tout le monde fut soulagé, les autres plus que moi sans doute et tout alla très vite. Orchestrée par mes proches, la phase de concrétisation vit apparaître à la maison une sténo « solidaire » et une spécialiste de la mise en page (j’écrivais à la main, à l’ancienne). En une dizaine de jours tout au plus, à marche forcée, nous arrivâmes au but. Ouf !
Maintenant le roman existait bien, il était matérialisé par ces 138 pages, les fruits de cette période tourmentée d’encre, de sueur et de larmes, telle une geste épique, dont nul ne connaîtra les affres. Je décidais d’appeler celui qui, malgré son absence depuis le début de l’aventure, n’avait jamais quitté mon espace mental : François. C’était un ami d’enfance, nous avions fait les 400 coups ensemble et il m’avait, à l’époque, encouragé pour une initiative semblable. Il m’avait aussi promis de transmettre mon tapuscrit à un de ses amis, un éditeur connu. Après mon appel, il vint me voir pour récupérer le roman et le remettre à son ami. Il s’apprêtait à repartir lorsque je lui dis, mais tu ne le lis pas ? Non, me répondit-il, je crains que notre amitié soit une très mauvaise juge et je préfère le remettre à quelqu’un qui ne te connaît pas, comme un gage d’impartialité. Et il partit, le sourire aux lèvres. Commença alors un temps qui demeurera pour moi comme une torture : j’étais assailli de doutes, de questionnements, d’angoisses quasi existentielles, caractéristiques de l’incertitude. Chacun sait que le pire dans l’attente, c’est l’attente du pire. Je n’y coupais pas, me consolant toutefois en me disant que les autres, même les plus grands avaient partagé ces sentiments mitigés, contradictoires.
Un matin de printemps, un coup de fil bouscula ma morosité. C’était François. Son ami l’éditeur nous donnait rendez-vous mercredi à quatorze heures cinq sonnantes, car il avait un conseil d’administration à quatorze heures quinze ! Et c’était dans deux jours !!! C’était toujours ça et je me réjouissais au moins de ne pas avoir reçu de lettre me disant qu’on m’écrirait, expression elliptique pour désigner les calendes grecques et la finitude de l’homme face aux mystères de l’édition.
François avait insisté pour venir me chercher et ensemble, nous allâmes chez son ami l’éditeur, dans un immeuble moderne, sans goût, sans originalité. L’intérieur, par contre, était majestueux, hauteur impressionnante sous plafond, toiles abstraites aux murs et beaucoup de lumière. Nous avions une avance confortable sur l’horaire convenu, ce qui ne fit qu’accroître mon angoisse. Les pensées défilaient, je me torturais l’esprit, je me demandais si les fruits tiendraient les promesses des fleurs, si… si… François, de temps à autre esquissait un sourire devant signifier, tout va bien aller, pas de panique… A quatorze heures cinq, un secrétaire nous fit signe de monter et nous escaladâmes rapidement l’escalier lambrissé. Assis à un grand bureau un homme finissait une conversation téléphonique. Il se leva et se dirigea tout sourire vers François, se détournant à peine pour me saluer : « Ah, François depuis le temps ! Oui, ça va, mais les temps sont parfois durs...l’actualité littéraire…cette histoire de Nobel…la politique culturelle du ministère…le salon du livre de Francfort… » Je regardais furtivement François et je voyais bien qu’il essayait d’endiguer le flot de paroles, mais l’éditeur pérorait, soliloquait et empli de rage, je constatais que ce mufle infatué m’ignorait royalement. La bouche de François formant un « O » pour l’interrompre ramena l’éditeur à notre insigne réalité. Oui dit-il, par rapport au texte que tu m’as fait parvenir, il y a quelques lueurs, mais il faut retravailler, élaguer certaines longueurs, cependant, il y a quelques idées qui demandent à être approfondies… Il faut faire un travail sur soi comme sur le texte… L’écriture est une ascèse, tu comprends, une discipline qui ne s’obtient qu’avec de la rigueur. Regardant sa montre (quatorze heures quatorze), il se tourna pour la première fois vers moi et me parlant comme à un primate microcéphale : oui il faut du courage et je suis persuadé que vous en avez, persévérez, convoquez la muse de l’inspiration, mais je le répète il faut du travail et de la rigueur, il n’y a aucune place pour l’improvisation et l’approximation. Après avoir en un si court laps de temps enfoncé autant de portes ouvertes, il tourna les talons et se dirigea vers celle du fond. Oui dit-il encore, s’adressant au vide trompeur dans un ample geste d’orateur grec : élaguer, couper, aller vers la quintessence du langage et que diable, on en tirera bien peut-être une petite nouvelle ! Le respect pour la langue française plonge parfois les auteurs dans la pudeur certaine d’utiliser certains mots, injustement classés dans les « marques d’usage » par le dictionnaire sous « fam. » ou « pop. », alors qu’ils sont tout à fait pertinents. Au risque d’être qualifié de « vulg », je tairais ceux qui m’envahirent à ce moment. S’il m’avait dit « Difficile d’être connu, quand on n’est pas connu », j’aurais reconnu son style d’éditeur !
Sortis de l’immeuble, François entreprit de me parler du roman, de l’écriture, des romans soutenus par de grandes maisons, de la relativité du succès… De sa voix rassurante, il ajouta que « Du côté de chez Budé », le journal de notre association, pouvait être une opportunité de familiariser un lectorat, certes restreint, mais blanchi sous le harnais de décennies de lectures, ce qui constitue, me dit-il, un critère non négligeable. Je me suis alors dit : Bonne nouvelle vaut mieux que roman indigent.
L’air fleurait bon les tiédeurs printanières et comme rasséréné, je me surpris à fredonner.
Joël Jamet - 2025